Paysage avec peupliers d’Alena Meas

(Alena MEAS, Paysage avec peupliers, huile sur toile, 2024)

PAYSAGE AVEC PEUPLIERS

On va à la rencontre de ces quatre peupliers par un champ sans chemin, par la vastitude de la terre. L’herbe dont elle est parsemée est rare et rouge vermillon – antithèse chromatique du vert verdoyant de l’herbe qu’on connaît pousser à la campagne au printemps. Les tiges rouges à peine perceptibles au-devant du tableau sont la vibration presque irréelle du vivant, alors que la terre, posée en couches transparentes de terre d’ombre, terre dans laquelle s’enracinent les peupliers, n’a presque aucune solidité – légère et aérienne, elle donne l’impression d’être d’apeiron. Le ressenti est renversé, au-dessus de la terre volatile plane un ciel épais, chargé, massif, volumineux. La peinture en pâte forme les nuages poussés par le vent, stratifiés, rassemblés, mêlés les uns aux autres, suspendus en bourrelets au-dessus des quatre peupliers, qui pourraient sembler ne faire qu’un, tant ils sont rapprochés – une confrérie de peupliers – quatre silhouettes presque humaines sur cet horizon du ciel gris-violet, comme des pèlerins en route pour chercher l’étincelle du sacré. Au tourment de là-haut, de l’air, s’oppose le calme du bas, de la terre. Entre les deux éléments, comme paratonnerres, les peupliers conduisent l’énergie, cristallisent la tension, verticales, comme les doigts d’une main tendue vers le ciel – aussi une prière dont les mots se dispersent dans le paysage.

(Alena Meas, mars 2024)

L’œil est d’abord saisi par le ciel qui est la partie lourde du tableau, avec des nuages très stylisés, en grosses touches épaisses, dans un dégradé travaillé de rose, de bleu et de blanc où se distinguent et se confondent l’ombre et la lumière, ciel dense et plein de matière, ciel qui aurait pu donner son titre au tableau. Ce n’est pas dans ce sens, de haut en bas, qu’on regarde un tableau habituellement et on est un peu déconcerté par ce viol du regard qui impose un autre sens, une autre lecture à l’œuvre. Ensuite, et seulement après un long moment de plongée hypnotique dans ces nuages de matière, on regarde, on remarque pourrait-on dire les trois ou quatre petites masses ternes et floues, même pas droites, sorte de soldats affaissés, des demi-molles dont les contours sont hachés, les feuillages de la même couleur brunâtre que les troncs, se détachant dans un ciel bleu gris en lignes horizontales délavées. L’œil se repose dans cette reconnaissance du sujet donné par le titre, cherchant dans sa mémoire des souvenirs de peupliers comme par exemple ceux qui, chez moi, en belles rangées délimitant un parc à bois, sont hauts et majestueux, jaunissant en automne et en hiver dévoilant les boules de gui qui se sont développées sur les branches. Les peupliers du tableau, eux, sont des silhouettes de peupliers, des signes de ce que prévoyait le titre. Voilà pour l’histoire mais si on envisage le tableau comme une musique on va chercher dans le carré du sol ces petites pointes rouges en pattes de fourmis, mises là comme des indications plus que comme un sujet. Vibrations discrètes, énergie pure, pulsations de cœurs qu’on entend à peine et qui, soudain remarqués au milieu d’une herbe terreuse qui pourrait être un vase horizontal –les sols font souvent office de vases dans un paysage avec arbres – donnent à l’ensemble sa mélodie secrète, dans laquelle l’œil peut s’installer ou se balader. 

Balade, musique, réminiscence, jeu de lectures, ce paysage de campagne dont le charme doit beaucoup à son indicible présence invite à la rêverie et au recueillement.

(Amélie Moglia, mars 2024)

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