Anne-Cécile Causse, « Paysages et intérieur » par Silvia Majerska

Anne-Cécile Causse, Paysages et intérieur. Éditions Henry, 2023.

On lit Paysages et intérieur d’Anne-Cécile Causse comme on regarde au fond d’un kaléidoscope : les images qui s’y forment ressemblent aux souvenirs émergeant autour d’un pivot central, celui de l’absence. L’autrice semble y secouer des bris de verre qui, à chaque nouvelle page, réfléchiront la lumière autrement et feront jouer les formes symétriques de toutes les couleurs. Cela, pour rapporter l’expérience de la défaillance originaire sur fond de nos mémoires par nature défaillantes. « C’est plus grand que le froid » (p. 10), relate le texte, quand « [l]a douleur ne s’appuie pas » (p. 14).

On se laisse entraîner par cette plongée qui fait la part belle à l’étonnement quand elle prend des allures à la fois de confession, de rêve et de récit merveilleux. On qualifierait volontiers ce tressage on ne peut plus naturel d’un idéal de l’écriture autobiographique :

« Dehors, dans le halo ronronnant du lampadaire, ton pas est gravure dans un soleil artificiel. On imagine des forêts silencieuses portées dans l’ombre, longer la course de l’enfant les joues rougies par un surplus de souffle. »

Or une autobiographie rêvée, ce serait celle qui insinue que l’introspection n’est pas une rétrospective, et que la chronologie est le plus faux des concepts jamais inventés. Ce serait aussi celle qui fait comprendre que si l’écriture peut sauver de l’oubli, elle peut sauver aussi du se souvenir au profit d’un se dire : « j’interroge une vague, je pleure d’autres parfums ». Et de conclure : « Je cherchais seulement une manière de te peindre. Les pétales froids que l’on apprivoise, la blancheur d’une neige qui ne sait que descendre » (p. 50).

On lit dans Deuil et mélancolie de Freud : « l’ombre de l’objet est ainsi tombé sur le moi », et ce serait sur un plan plus onirique comme si on inversait le centre et la surface de la Terre, pochée comme on poche un œuf. Si on admet l’image, le livre d’Anne-Cécile Causse montre que le merveilleux, qu’on aurait plaisir à confondre avec le poétique, saura en restituer l’ordre. Il montre aussi qu’une voix, une œuvre ayant trait à la tectonique font basculer dans le sublime : ici, souvenir, rêve, photographie mentale, paysage surnaturel, éléments dés-apprivoisés, désappris, pivotent autour du vide fondateur grâce à une contraction gravitationnelle imposante – là encore sans doute le plus rêvé des noms qu’on puisse accoler au désir – comme dans un disque protoplanétaire.

Si on n’assiste pas à la naissance d’une planète – puisqu’il s’agit du sujet – on en garderait l’agréable possibilité d’une homologie entre un nuage de poussière en rotation, et un texte.

Extrait :

Je crois qu’il s’agissait d’un rêve, l’eau diffusait une parole sourde et le courage avait des reflets verts. Des ombres fanées et sans accents, les visages, enfouis sous les paupières. L’aube noire tombée, l’effroi parcourt le paysage étreint.

Je défaisais la rue de ses arbres, de ses feuilles aux fenêtres, une nature racontée. Je descendais la rue et dans le ciel, des dessins d’ombre, des voiles derrière, le rose criant du soir, poison du rayon traversant.

Les pétales fatigués tombent de mes épaules nues. Tu me souris sur un autre quai. Je risque un pas, la barque s’épanche sans faire de choix.

(p. 24)

Silvia Majerska

Le 15/07/2023

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